CHAPITRE XXII
Depuis plusieurs minutes déjà, les vingt hommes en scaphandre progressaient dans l’interminable galerie. Ils avançaient avec la circonspection de ceux qui foulent un sol vierge. Le pistolet électrocuteur dans la main droite, la torche électrique dans la gauche, ils ressemblaient à une cohorte de monstres inconnus regagnant leur tanière enfouie dans les entrailles de la terre.
Brusquement, la galerie s’élargit et fit place à une espèce de carrefour où aboutissaient plusieurs autres tunnels.
Les Terriens hésitèrent un instant et sous l’impulsion de Traver, ils s’engagèrent au hasard dans l’une des galeries.
— Pourvu que nous retrouvions notre chemin dans ce labyrinthe, murmura Corry passablement inquiet.
— Vous songez déjà au retour, grommela Traver, alors que nous ne sommes pas arrivés.
Ce n’était pas l’opinion générale. Plus d’un soldat envisageait la situation avec la froide lucidité de Mac-Corry. Cette forteresse souterraine devait probablement posséder un système défensif contre toute agression éventuelle. Et ce silence, ce calme absolu, cette passivité de la part de l’ennemi, incitaient à la méfiance et ne présageaient rien de bon. Sinon une sourde menace…
— Curieux, fit le sergent Plymouth au bout de cinq minutes. Je me demande où conduisent ces galeries… Nous n’apercevons ni orifice, ni anfractuosité. Car tout de même, le nain à peau blanchâtre que l’on a vu disparaître se dissimule bien quelque part !
— Ne vous inquiétez pas à son sujet, soupira Corry, il s’est mis prudemment hors de portée. D’ailleurs, j’ai l’impression que nous n’allions pas tarder à avoir du nouveau…
La prophétie de Mac-Corry se réalisa quelques secondes plus tard et plongea la petite troupe dans une indicible angoisse.
Brusquement, un bruit sourd retentit derrière les Terriens et l’un des soldats hurla :
— Malédiction, nous sommes emmurés !
C’était, hélas, l’abominable vérité. Un pan de mur venait de coulisser, coupant la retraite aux hommes de Traver. Celui-ci n’en conserva pas moins son sang-froid.
— Nous ferons sauter cela au retour, dit-il… D’ailleurs, rien ne nous empêche de demander des renforts. Je vais me mettre en communication avec la surface.
Assourdie, la voix du colonel Gruder parvint néanmoins à l’oreille de Traver qui eut une longue conversation avec l’officier supérieur, demeuré à l’extérieur du puits. Lorsque la communication prit fin, Traver affichait un sourire de vainqueur et il s’adressa à ses hommes.
— Courage, les enfants. L’heure décisive approche. Nous sommes en plein cœur de la forteresse ennemie, ce qui prouve que notre adversaire est incapable de freiner notre avance. D’ailleurs, comme vous savez si bien le prédire, Corry, nous aurons du nouveau sous peu !
Le policier ne releva pas la légère ironie du général et se contenta de hausser les épaules, trouvant trop spontanée la confiance dont faisait preuve Traver.
Les hommes n’avançaient qu’avec une extrême prudence, se demandant si, réellement, ils reverraient un jour leurs camarades restés en surface.
— Ne craignez rien. Nos scaphandres nous protègent du rayon désintégrateur et…
Traver n’acheva pas sa phrase. Une porte coulissante venait de démasquer une ouverture dans la paroi de la galerie, invitant les hommes à s’y engager.
Les soldats hésitèrent et adressèrent à leur chef un regard inquiet. Corry ne se montra nullement empressé et il songea, l’espace de quelques secondes, à Betty et à Fred. Les reverrait-il, lui aussi ?
Il n’en savait rien. La formidable et ahurissante aventure ne faisait que commencer. On allait de surprise en surprise. Que réservait l’avenir, dans ce mystère angoissant que posait l’inévitable rencontre avec les nains à peau blanchâtre ?
L’incertitude de ce qu’on allait rencontrer était une menace constante. Jamais humain n’avait vécu des minutes aussi palpitantes.
— Méfions-nous, Traver… Je n’aime pas les portes qui s’ouvrent toutes seules, miraculeusement. Cette forteresse est truquée et nous pourrions fort bien tomber dans un guet-apens, fit Corry en braquant le rayon de sa lampe par l’orifice béant.
Il ne distingua rien de suspect, hormis des murs semblables à ceux des autres galeries.
Traver esquissa une affreuse grimace.
— Vous redoutez un guet-apens, Corry… Vous devriez ne pas l’exprimer tout haut et au contraire ranimer le moral de nos hommes. Allons, du courage. D’ailleurs, vous savez bien qu’il est impossible de reculer…
Avec une témérité admirable et un mépris extraordinaire du danger, Traver, le premier, s’engagea dans l’ouverture.
Dès lors, les soldats n’hésitèrent plus et, un à un, ils emboîtèrent le pas à celui qui leur montrait un bel exemple de bravoure.
Le bruit caractéristique et infiniment menaçant de la porte qui se refermait arracha un geste d’instinctif recul à Mac-Corry.
— Je vous l’avais prédit, Traver, fit Corry sur un ton réprobateur. Nous ne sortirons pas vivants de ce guêpier. Nous voici à la merci de nos ennemis.
Traver serra vivement l’avant-bras de son ami. Il serra même d’une poigne vigoureuse, montrant une inébranlable volonté.
— Allons, ne dites pas de bêtises. Vous raisonnez comme un policier et non comme un soldat. Si ces portes se sont fermées, elles doivent aussi s’ouvrir…
La petite troupe déboucha dans une pièce immense, que les lampes électriques ne parvinrent pas à éclairer entièrement. Et les hommes s’attendaient si peu au formidable spectacle offert à leurs regards, qu’ils en demeurèrent muets de saisissement.
Enfin, Traver put articuler une parole et il avança avec précaution.
— Nous voici probablement dans leur arsenal… balbutia-t-il.
Le mot sonnait mal et le vocabulaire terrestre ne suffisait pas pour désigner les deux extraordinaires engins, aussi disparates l’un que l’autre, et qui occupaient la pièce, semblable à un immense hangar.
Aucune lumière ne brillait. Les ténèbres les plus épaisses régnaient dans cette salle de construction géométrique, également cimentée à l’aide de cette substance grisâtre.
Les lampes électriques des Terriens convergèrent tout d’abord vers le plus volumineux des engins, et peut-être le moins ahurissant.
Sa forme générale rappelait assez bien l’aspect d’une boule, fortement aplatie aux pôles. Dans cette carapace métallique, s’ouvraient des hublots et tout portait donc à croire qu’il s’agissait d’un véhicule.
Mais ses dimensions étaient gigantesques. Son diamètre devait atteindre plus de cinquante mètres et rien de comparable n’existait sur terre. Le véhicule sphérique reposait sur une espèce de socle, sans doute pourvu de puissants amortisseurs. Mais l’on ne distinguait aucune issue, hormis les hublots.
Traver s’enhardit et s’approcha justement de ces hublots qui s’ouvraient à hauteur d’homme, formant une sorte de ceinture autour de l’engin. Dominant sa nervosité, il plongea le rayon de la lampe par l’une des ouvertures, obstruée par une substance semblable au verre.
Il distingua des tableaux de bord, munis d’une multitude de boutons, de manettes. Il y avait aussi des écrans, noirs pour l’instant. Ces instruments hétéroclites, Traver en ignorait évidemment le fonctionnement et il se demandait quelles en étaient les attributions respectives.
Lentement, le général revint vers ses hommes qui attendaient anxieusement le résultat de cette enquête.
— Aucun doute n’est possible. Il s’agit là d’un vaisseau interplanétaire. J’ignore son mode d’énergie, mais je suppose que la boule doit tourner sur elle-même, engendrant un mouvement gyroscopique.
— Un vaisseau interplanétaire… répéta Corry, songeur. De grande taille et parfaitement visible. Alors, Traver, pouvez-vous m’expliquer pourquoi cet engin a échappé aux postes détecteurs de nos trois stations cosmiques, gravitant dans notre ciel ? Car aucun appareil ne peut sortir de notre atmosphère – ou y pénétrer – sans être immédiatement repéré par l’un des trois satellites artificiels.
Traver haussa les épaules. Ce mystère le dépassait et il fallait admettre que l’engin de nains à peau blanchâtre possédait le moyen d’échapper aux ondes détectrices.
Puis les Terriens concentrèrent leur attention sur la seconde machine, encore plus hallucinante que la première.
Elle était beaucoup plus petite et affectait la forme d’un tube en spirales, monté sur des espèces de chenillettes. Le tube ne dépassait pas trois mètres de long. On eût dit un tire-bouchon, ou bien un canon d’un genre nouveau.
L’extrémité du tube était acérée et cette sorte de « fraise » géante donna une idée à Mac-Corry sur l’emploi de ce bizarre engin.
— J’ai l’impression que cette machine sert à creuser des galeries. D’ailleurs, les spirales sont encore maculées de terre…
Les hommes en scaphandre firent davantage connaissance, si l’on peut dire, avec les deux extraordinaires engins dans l’immense salle. Ils n’hésitèrent même pas à appliquer leurs mains gantées sur le métal inconnu qui avait servi à la construction des deux étonnantes machines.
— Cela ressemble à de l’acier, conclut Traver après un rapide examen, comme la substance grisâtre des murs ressemble au ciment.
Corry fureta dans la vaste salle mais ne découvrit rien d’autre, susceptible de l’intéresser. Et à bien réfléchir, on pouvait se demander par quel miracle ces deux engins se trouvaient ici, alors que la galerie accédant à la salle ne dépassait pas la hauteur d’un homme moyen !
— Tout est bizarre là-dedans, grommela Corry… Leurs engins sont en tout cas habilement dissimulés. Savoir combien il existe maintenant de semblables forteresses sur la planète ? L’ennemi possède des bases puissantes dotées d’un matériel et d’un armement ultra-moderne. C’est miracle que nous ayons découvert celle-ci.
— Il est urgent que nous détruisions ces bases qui alimentent notre ennemi.
— Il est surtout urgent de sortir d’ici, rectifia Corry avec une habile ironie.
— Nous avons à franchir trois portes, fit le sergent Plymouth, avant d’atteindre l’orifice du puits. Et si ces portes sont du même métal que celui de ces engins, je doute que nous parvenions à les faire sauter.
Brusquement, un grésillement emplit la salle et malgré son scaphandre isolant, Corry comprit de quoi il s’agissait.
Il se débarrassa vivement de son casque et respira un air parfaitement adapté à ses poumons. Puis il écoula…
Le grésillement s’était mué en une voix fort compréhensible, qui s’exprimait dans un anglais assez correct et ressemblait étrangement à celle du speaker de la télé-radio.
Corry fit signe à ses compagnons d’ôter à leur tour leur casque, et bien que cette opération présentât de sérieux dangers, les Terriens n’en obéirent pas moins et prêtèrent une oreille attentive.
Le phénomène dépassait tellement en ampleur leur pauvre imagination, qu’ils en oubliaient toute prudence…